RESISTANCE UNIE en Gironde


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Odyssée des passagers du " MASSILIA " par René BOSDEDORE.
"R.U. n°66 page 1
décembre 2003
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Le Ministère du Maréchal PÉTAIN L’ARMISTICE du 22 JUIN

C'est ainsi que moins de deux heures après avoir reçu du Président de la République - les choses ayant été si minutieusement préparées - la charge de la constitution d'un nouveau gouvernement, le Maréchal PETAIN, en ce temps record, était-il en mesure de présenter, dès 22 heures, la liste des membres de ce gouvernement. Il ne fait aucun doute que le Maréchal avait déjà cette liste en poche avant même que d'avoir très faussement, par le Vice- Président du Ministère REYNAUD, Camille CHAUTEMPS, au Conseil des Ministres de la veille. Bien évidemment. le nouveau ministère avait-t-il été très soigneusement "épuré" de son Président et Ministre de la Guerre démissionnaire, de son sous-secrétaire d'Etat de GAULLE et de tels autres ministres ayant comme Yvan DELBOS, Georges MANDEL, Louis MARIN, Henri QUEUILLE et quelques-uns autres, manifesté leur opposition à l'idée d'une demande d'armistice.

Libéré ainsi à la fois de la formalité constitutionnelle de l'investiture parlementaire, mise entre parenthèses compte tenu de la situation d'urgence et de toute entrave à l'intérieur de son ministère, le Maréchal n'allait attendre que le dernier coup de minuit, sonné à l'horloge de l'histoire, pour faire présenter, ce 17 juin, à zéro heure, aux autorités du Reich les conditions de l'armistice qu'il sollicitait.

Les autorités allemandes s'offraient alors le confort de différer un peu leur réponse qui ne parvint que le 19 juin avec convocation d'une délégation du gouvernement français chargée de venir recevoir les conditions de l'armistice dans le wagon de la clairière de la forêt de Rethondes où avait été signé l'armistice imposé au Reich le 11 novembre 1918...

Dans le courant de la journée du 17 Juin, tandis que la Wehrmacht occupait Orléans, Dijon, Le Creusot, Besançon... et à l'heure de grande écoute de midi trente, le Maréchal PETAIN annonçait dans une allocution radiodiffusée, sa décision de demande de l'armistice: "C'est le cœur serré, déclara-t-il, que je dois vous dire aujourd'hui qu'il faut cesser le combat (...). Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire pour lui demander les conditions de la cessation des hostilités... ".

L’incident MANDEL – il avait amené une protestation des Présidents de la Chambre des Députés et du Sénat - était bien révélateur de l'état d'esprit si antiparlementaire du nouveau gouvernement. On ne peut que s'étonner qu'un homme politique aussi averti que Jean ODIN ait pu écrire dans son ouvrage que nous avons déjà cité que ce gouvernement "ne rompait pas avec la République puisqu'il comptait sept parlementaires au nombre de ses ministres". Cela paraissait vrai à la lettre, à la lecture de la liste des membres de ce gouvernement où, comme pour mieux donner le change, à la seule exception du député d'extrême droite YBARNEGARAY, les six autres parlementaires étant tous issus de l'ex-majorité du Front Populaire. : Ne trouvait- on pas là deux radicaux- socialistes, CHAUTEMPS et CHICHERY, deux républicains socialistes, FROSSARD et POMARET et même deux socialistes réputés bon teint, André FEVRIER et Albert RIVIERE. Le choix de ces deux derniers, selon ZEVAES, résultait du départ de Paul FAURE, dont la présence dans son ministère aurait été souhaité par le Maréchal, n'aurait ce été que pour déplaire à Léon BLUM dont il redoutait l'opposition.

Pour ZEVAES, si fin connaisseur du monde politique et très vigilant observateur de ce qu'il faut bien appeler un état de véritable décomposition du régime démocratique et parlementaire faisant penser au travers de l'incident MANDEL, à un retour au goût de la pratique de la lettre de cachet en honneur dans les temps d'Ancien Régime.

Pendant ces misérables journées bordelaises d'un gouvernement aux abois en attente de la réponse du Reich à la demande d'un armistice, la Wehrmacht poursuivait son irrésistible invasion, facilitée d'ailleurs par l'ordre de déclaration de villes ouvertes, toutes les cités de plus de 20.000 habitants et donc, consécutivement la non-obstruction des ponts qui auraient pu retarder cette invasion. Et c'est ainsi que dès le 18 juin la Wehrmacht était en passe d'occuper, non seulement Nevers, mais encore Le Mans, Caen, Cherbourg...

La Loire était maintenant déjà franchie en plusieurs points, parfois au prix d'aussi meurtriers que vains combats, comme à Gien.

Ce n'était plus désormais des avancées plus ou moins isolées, ces pénétrations d'avant- gardes très motorisées et si bien soutenues par une aviation devenue maîtresse de l'air. C'était bien l'occupation quasi-systématique de toutes les régions du territoire situées au Nord et au Nord-Est de la Loire, de ce grand fleuve dont on avait pu espérer qu'il ne serait peut- être pas dépassé à l'heure où le Maréchal avait présenté sa demande d'un armistice.

Et c'est aussi au cours de cette journée du 18 juin que devait parvenir une première réponse à cette demande, mais non pas de Berlin, bien au contraire, de Londres et par la voix du Général de GAULLE où il était arrivé, la veille même, dans l'avion du Général SPEARS, parti le chercher à Bordeaux, au lendemain de la démission du gouvernement REYNAUD - C'est donc de la capitale britannique, à 17 heures pour l'heure française, que s'exprimant devant les micros de la B.B.C de GAULLE prononçait la célèbre allocution qui devait entrer dans l'histoire sous le nom de l'Appel du 18 Juin : « A tous les Français ! La France a perdu une bataille ! Mais elle n'a pas perdu la guerre !(...) Dans l'univers libre, des forces immenses n'ont pas encore donné. Un jour, ces forces écraseront l'ennemi. Il faut que la France. ce jour-là, soit présente à la Victoire. Alors, elle retrouvera sa liberté et sa grandeur. Tel est mon but, mon seul but! Voilà pourquoi je convie tous les Français, où qu'ils se trouvent, à s'unir à moi dans l'action, dans le sacrif1ce et l'espérance. Notre patrie est en péril de mort. Luttons tous pour la sauver! Vive la France ! ».

Le lendemain 19 Juin, le Général de GAULLE prononçait une deuxième allocution radiodiffusée appelant aux Français au devoir de résistance : " Au nom de la France, je déclare formellement ce qui suit: tout Français qui porte encore des armes a le devoir absolu de continuer la résistance. »

Ce même jour, la Wehrmacht poursuivant sa progression vers l'Ouest pour mieux isoler la France de la Grande Bretagne, occupant Rennes pour se rapprocher de Brest et de son important arsenal et dans le même temps c'était, non seulement, tout à l'opposé, dans l'Est, l'occupation de Nancy mais encore dans le Centre, Vichy. C'était un véritable déferlement dans toutes les directions à la fois, notre système défensif étant pratiquement anéanti. Il y eut bien encore quelques points de résistance qui, contrevenant à l'ordre de retraite générale de WEYGAND, se livrèrent à de meurtriers et bien vains combats contre l'ennemi, tel l'héroïque sacrifice des Cadets de l'Ecole de Cavalerie de Saumur.

Mais ce 19 Juin est véritablement chargé d'évènements, n'est-il pas celui où le Reich daigna enfin faire connaître au gouvernement français sa réponse à la demande d'armistice. Les conditions de l'Allemagne, dont les forces occupent déjà si largement le territoire français, sont comminatoires : le Reich impose le calendrier de négociation et le lieu de rencontre des délégations plénipotentiaires. Le jour est fixé au 21 Juin et le lieu de la rencontre sera la forêt de Rethondes et, pour la plus grande humiliation de la France, dans le wagon même où avait été signé l'armistice du 11 Novembre 1918.

C'est donc là que seront négociées, si l'on peut dire, et en moins de 24 heures, les conditions de l'armistice, effectivement signé le 22 Juin à 18 h.30.

Mais revenons à Bordeaux où le Maréchal PETAIN exerçait le pouvoir depuis la nuit du 16 au 17. On ne sait pas trop l'écho qui a pu être rencontré dans la capitale provisoire de la France, par l'appel du Général de GAULLE, très largement diffusé télégraphiquement dans le monde par l'Agence HAVAS de Londres. La presse bordelaise qui disposait alors encore de sa liberté d'expression l'a t’elle portée à la connaissance du public comme s'étaient appliqué à le faire les grands quotidiens lyonnais et marseillais, notamment. Le Petit Provençal" qui l'avait reproduit en première page ?

Il ne semble pas que le nombre des parlementaires ayant pu rejoindre le gouvernement replié à Bordeaux ait été très considérable, selon certaines sources, il aurait pu être de l'ordre de près de 90 députés et de 45 sénateurs. Le siège du Sénat avait eu pour cadre celui du théâtre des Bouffes Bordelais mais il ne put y avoir tenu la moindre séance, tandis que quelques députés se retrouvaient au groupe scolaire Anatole France, attribué à la Chambre des Députés. Mais c'est dans les réunions informelles se tenant à l'Hôtel de Ville de Bordeaux, sous la houlette du député-maire Adrien MARQUET et de Pierre LAVAL, dont l'influence devenait de plus en plus prédominante, que se nouaient les intrigues autour du gouvernement pour l'aiguillonner encore davantage dans la voie de l'antiparlementarisme mis en évidence par l'incident MANDEL.

Adrien MARQUET et Pierre LAVAL ne devaient-ils pas se voir bientôt récompenser de leur activisme par leur entrée au gouvernement en qualité de Ministre de l'Etat, le 20 Juin. N'avaient-ils pas ouvert, même si l'on taisait encore le mot, la voie d'une collaboration plus ou moins opportuniste avec l'adversaire dont on attendait les conditions pour un armistice dont il était évident qu'il allait imposer une très large occupation de la France.

Et c est au moment ou vont se débattre les conditions de cet armistice qu'un certain nombre de personnalités du gouvernement et du Parlement se demandent s'il ne conviendrait pas que le pouvoir exécutif et les membres des deux Assemblées Parlementaires présents à Bordeaux, aillent se replier en Afrique du Nord, de manière à éviter un encerclement devenu menaçant de l'ennemi. Seul moyen peut-être encore possible d'assurer au gouvernement la liberté de ses mouvements et de ses précisions. C'est au début l'opinion du plus grand nombre; c'est même celle du Maréchal PETAIN lui-même.

Il est alors décidé que les parlementaires qui le souhaiteraient et une délégation du gouvernement, présidée par Camille CHAUTEMPS, allaient se rendre en Algérie. Puis, changeant d'avis vraisemblablement sous l'influence de plus en plus considérable de LAVAL, le gouvernement prenait la décision de demeurer à Bordeaux, tout en conviant très expressément les parlementaires à se rendre en Algérie. Sans doute se proposait-il d avoir les coudées plus franches pour gouverner seul hors du contrôle des Assemblées.

Mais conformément à la première décision, plusieurs parlementaires tels JEANNENEY, Président du Sénat, Léon BLUM, Georges BONNET et quelques autres, étaient déjà partis pour Port-Vendres, en vue de s'y embarquer pour l'Algérie. Avertis en cours de voyage du changement d'avis du gouvernement, ils décidèrent de faire demi-tour pour regagner Bordeaux étant donné que le gouvernement avait donc finalement décidé de surseoir à son départ.

Paul REYNAUD qui avait pris lui aussi la direction de Port-Vendres, mais par la route, fut victime d'un grave accident où sa compagne fut tuée tandis qu'il était lui-même grièvement blessé.

Dans cette précieuse "Histoire de la IIIème République", déjà citée, ZEVAES rapporte, pièces officielles à l'appui, et ce sont là des documents absolument essentiels quant à l'affaire du "Massilia", un autre fait important de cette mémorable journée. Cette page ne saurait être résumée, elle mérite bien la reproduction intégrale que voici :

" Le 19 juin, vers quatorze heures, M. Frossard. Ministre des Travaux Publics, se présenta au siège de la Chambre des députés installée à t'école Anatole France: "Le gouvernement, déclare-t-il, a décidé de continuer la résistance en Afrique du Nord. Dans ces conditions, les parlementaires sont invités à partir en Afrique du Nord avec leurs familles; 600 places leur sont réservées. Le Maréchal PETAIN restera à Bordeaux avec trois ministres pour attendre l'armée ennemie". Ainsi le gouvernement s'efforce perfidement d'induire en erreur sénateurs et députés.

Ce ne sont point - il convient de le remarquer -les parlementaires qui demandent à gagner l'Afrique: c est le gouvernement qui les y invite de la manière la plus pressante, qui leur en donne presque l'ordre, ainsi qu'en témoignent encore les deux documents suivants du ministre de la Marine. Le premier est adressé, dans la soirée du 19 Juin à M. HERRIOT: président de la Chambre :

" Le bateau désigné est le Massilia, Il sera amarré. le 20, vers midi, au quai des Chargeurs. L'embarquement devra s'effectuer " entre 14 heures et 16 heures 30. Six cents places de cabine. "

" Je vous demande de faire contrôler les embarquements par le personnel qualifié du Sénat et de la Chambre. "

" Sentiments respectueux. "

Amiral DARLAN.

Le second document est la note de service écrite le 20 juin en fin de matinée et transmise au vice-amiral Dumesnil, collaborateur de M. POMARE7; ministre de l'Intérieur

" Le gouvernement, d'accord avec les Présidents des Chambres, a décidé, hier 19 juin, que les parlementaires embarqueraient sur le Massilia, aujourd'hui 20."

" La rivière ayant été minée à Pauillac, le "Massilia" n'a pas pu remonter à Bordeaux, comme prévu, et est resté au Verdon."

" C'est donc au Verdon que doivent se rendre les parlementaires par des voitures que le gouvernement devra leur procurer: "

" J'ai avisé de cela ce matin M. POMARET; puis le président Chautemps et je l'ai téléphoné au président Herriot."

"La Marine ne peut rien faire d'autre."

" Amiral DARLAN "

Voilà donc parfaitement établie la toute simple vérité sur cette affaire du "MASSIUA" qui allait être si honteusement déformée en vue de faire croire à une opinion publique déboussolée que ces parlementaires n'étaient que de lâches fuyards.

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