RESISTANCE UNIE en Gironde


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d'un Français libre.

Témoignage de Louis Bernon. (Page n°1)

Asques mon village natal. Nous sommes en juin 1943 et sous l'occupation allemande, dans la cour les Allemands ont installé leur cuisine roulante le père ne leur fait pas de sourire car il a souffert pendant la dernière guerre. Il est revenu avec de nombreuses blessures, il a perdu l’œil gauche, ce qui lui a valut d'être décoré de plusieurs médailles dont la légion d'honneur.

Le 23 juin 1943 un voisin Pierre Latrubesse et ami de la famille se présente à la maison. Il habite Orthez dans le Béarn. La première question que je lui pose est (Qu'est-ce qui me vaut ta visite)? L'application est simple. Il nous raconte qu'il avait trouvé du travail dans une entreprise de Grenoble qui construit un barrage. Ces jours derniers son chef lui avait annoncé que les Allemands allaient réquisitionner une partie des gars de la classe 41-42 pour le STO dont la sienne, qu'il avait demandé un arrêt de travail de quelques jours qu'il était venu à Asques pour régler des affaires avec son employé agricole.

En présence de papa et maman, il nous explique qu'il a décida de rejoindre de Gaulle en franchissant les Pyrénées, et ensuite arriver au Maroc. Il faut qu'il fasse vite. Est-ce que tu viens avec moi? Mais franchir les Pyrénées n'est pas une mince affaire, nous partons plein d'espoir mais conscients des difficultés (patrouilles allemandes avec leurs chiens, filières infiltrées par les agents doubles ou délateurs, hélas il y a des embuscades en montagne). En zone interdite si nous sommes pris. le risque est d'être fusillé sur place ou déporté dans les camps de concentration nazi. Mais la liberté n'est pas à la frontière. Je n'ai pas vingt ans, ma classe ne sera appelée que plus tard, d'un air interrogateur! Je regarde mes parents présents à la conversation; mon père me dit : " c'est à toi de décider ", quelques secondes et je décide de partir.

Le rendez-vous est le lendemain dans la matinée. une simple musette comme bagage fera l’affaire elle a déjà servi, quelques effets pour me changer, sur la tête mon béret. Grand-mère Laure m'a donné un crucifix en ébène, tante Hortense, la montre et la chaîne qui appartenaient à l'oncle Clovis mort en 1918 à Verdun; elles m'ont serré dans leurs bras en me souhaitant bonne chance... pour mes frères et soeurs, je pars en voyage pour quelques jours, pour l'instant mieux valait ne pas leur en parler. Pierrot n'a que 16 ans - Claude et Claudine 6 et 5 ans - Antoinette 22 et Jacqueline 21.

Le 24 juin, le moment est venu de partir. nous serons conduit tous les deux en gare de Saint-André de Cubzac en carriole à cheval par l'employé de Pierre Latrubesse, Mr Gonzalés (qui a échappé â la guerre civile en Espagne) comme c'est dur d'agir quand arrive l'instant de quitter le foyer familial: le regard d'une mère qu'on laisse pour longtemps, peut-être pour toujours, quelle émotion s’empare de votre cœur. Après avoir embrassé tout le monde je me suis retourné vers eux tous, vers ma maison, dure épreuve ! mais il y avait une tâche à accomplir, des dangers nous allions en courir, mais avec de la chance nous devrions réussir. Papa maîtrise difficilement son émotion. Hélas. il a déjà connu ce genre de situation.

Le trajet jusqu'à la gare de Saint-André se passe bien puis pour Bordeaux aussi, arrivé en gare Pierrot connaît le quai où il faudra faire attention de ne pas se faire repérer car il y a beaucoup de policiers Allemands avec des chiens plus les Français gendarmes ou miliciens, nous montons dans le train, les compartiments sont bien garnis, puis en cours de trajet dans les Landes Girondines le train s'arrête, une épaisse fumée se dégage de la forêt; il y a le feu. Il faut attendre un bon moment avant de repartir. Puis c'est l'arrivée à Orthez chez la famille Latrubesse place de la Poustelle. J'y suis très bien reçu.

Le 25 juin, nous partons d'Orthez destination Pau puis Oloron par le train de 10h30 nous arrivons â Pau à midi, deux camarades se sont joints à nous. Après le casse croûte deux par deux nous visitons la ville tout en faisant très attention. Nous repartons de Pau à 17 H pour arriver à Oloron une heure après. Il y a beaucoup de voyageurs à l'intérieur de la gare; il y a un contrôle d'identité effectué par des civils et des policiers douaniers allemands. Pas de panique ! je présente ma carte d'identité, tout se passe pour le mieux. J'avais déjà été contrôlé en 1942 par les Allemands à la gare de St Foy la Grande en passant la zone libre pour me rendre à St Alvére chez un cousin. Cette expérience m'a aidé à ne pas paniquer lors de ce contrôle. Je rejoins les copains à la sortie dans la parc du jardin public puis nous nous rendons à l'hôtel Loustalot pour passer la nuit à l'hôtel et prendre contact avec les passeurs, je crois qu'il y a un problème. Nous avons appris plus tard que le 16 juin 1943 des miliciens s'étaient infiltrés dans la filière près de Barcus. Le groupe avait été attaqué, le guide Jean-Pierre Garat avait été grièvement blessé et laissé pour mort dans la montagne.Mais tout finit par s'arranger entre le patron de l'hôtel et le passeur.

Le 26 juin, nous passons la journée deux par deux dans la ville en attendant le départ qui se fera dans la soirée; il y a beaucoup de monde pour un jour de foire, nous avons rendez-vous dans les dépendances de l'hôtel vers 18 heures pour prendre les vélos qui vont nous servir pour le déplacement jusqu'au pied de la montagne. Le passeur est là, nous partons. Nous devons passer par Aramits-Lanne pour rejoindre Barlanés. Il fait chaud en route nous avons croisé un camion de soldats allemands sûrement des douaniers, tout se passe bien pour l'instant, je suis le dernier de la file. Bientôt, il va falloir passer la zone interdite, nous arrivons dans une descente, une légère courbe, puis tout droit la route qui va sur Montory-Barcus, à gauche vers le village de Barlanès; c'est elle que nous devons prendre. Un peu avant nous passons sur un pont qui passe sur le Gave « le Ver ». Les douaniers allemands se trouvaient en contre bas, en entendant le bruit que faisaient nos vélos; ils ont jailli sur la route en criant : « Halte… Halte » Le passeur en s'arrêtant a protégé notre fuite. Quel courage ! Le temps que les Allemands ont passé à contrôler ses papiers, nous a permis de nous échapper étant protégés par une haie très haute. J'étais le dernier à passer; j'avais laissé échapper ma veste qui se trouvait sur le guidon; de toutes mes forces, j'ai appuyé sur les pédales. Je l'avais belle. Lorsque j'ai rejoint les autres, près de l'église de Barlanès, Boubé avait dit: "Celui-là, on ne le reverra pas".

Nous venions de parcourir une vingtaine de kilomètres pour atteindre la montagne. Tous les quatre devons continuer seuls, il faut faire vite, arriver le plus tôt possible à la dernière ferme. Nous y sommes! Les gens sont dans la granges ils rentrent le foin de suite ils ont compris que nous devions avoir les Allemands aux trousses nous avons caché les vélos dons la grange et sommes montés par un sentier de la montagne; quelques minutes plus tard il faisait sombre tant bien que mal nous nous sommes cachés la peur au ventre, la fatigue au corps. Dans le village, nous entendions les chiens aboyer, on pouvait apercevoir quelques lumières puis le calme est revenu. La nuit sera longue et il faudra parvenir à dompter sa peur, quelle horrible nuit! car de temps en temps une bestiole qui se déplace sur les feuilles sèches fait du bruit et nous fait tressaillir.

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